En tout état de cause, il s'agit d'avantage de communication marketing et de poudre aux yeux que de réels gains pour le pouvoir d'achat des Français.
© D.R.
Depuis ce début de semaine, et alors que les prix de l'essence et du diesel sont au plus haut, on entend beaucoup parler des opérations "carburant à prix coûtant" mises en place par différentes enseignes de distribution. Mais s'agit-il d'un réel effort en faveur du pouvoir d'achat des conducteurs ? Rien n'est moins sûr...
Face au houleux débat sur l'inflation des prix des carburant (essence et diesel), le gouvernement tente de faire pression sur les fournisseurs et les distributeurs en leur demandant un "effort de solidarité". Si en début de semaine, TotalEnergies a annoncé poursuivre le plafonnement du prix au litre à 1,99 € dans ses 3 400 stations-service "tant que les prix resteront élevés", la ministre de la Transition Energétique, Agnès Pannier-Runacher a reçu les distributeurs le mardi 12 septembre. Une nouvelle réunion au ministère qui - comme on s'y attendait - n'a finalement abouti à pas grand chose, mis à part la "promesse" de certains grands groupes de multiplier dans les prochaines semaines et prochains mois des opérations dites "carburant à prix coûtant".
Certaines enseignes multiplient les effets d'annonce
Ainsi, les annonces se sont multipliées ces dernières heures. Le groupe Casino va mettre en place ce dispositif tous les week-ends, vendredi inclus, jusqu'au 22 octobre. Pour Intermarché, ce sera tous les derniers week-ends de chaque mois. Interrogés par Capital, Carrefour a répondu ne pas procéder à des opérations à ce jour, tout comme Auchan ou Leclerc qui travaillent sur le sujet. Chez Système U, on explique : "Nous allons bientôt communiquer sur de telles opérations, qui auront lieu certainement le week-end, car il faut participer à l’effort collectif et donner des signes. Mais que ce soit nous ou nos concurrents, nous ne détenons pas la solution pour contenir le prix des carburants".
Un réel effort en faveur du pouvoir d'achat ou du bluff ?
En effet, une fois les effets d'annonce passés, on est alors en droit de se demander si ces opérations sont réellement "gagnantes" pour le portefeuille des conducteurs. En tout état de cause, il s'agit d'avantage de communication marketing et de poudre aux yeux que de réels gains pour le pouvoir d'achat des Français. Dans les colonnes du Parisien, un porte-parole de Système U reconnaît : "Pour un supermarché, le carburant est un produit d’appel, donc les marges nettes que l’on génère sont minimes, de l’ordre de 2 à 3 centimes par litre, donc, quand on fait une opération à prix coûtant, pour un plein de 50 litres, l’économie n’est que d’un peu plus d’un euro", fait savoir le responsable.
En 2021, Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des centres E.Leclerc qui ont cet été multiplié les opérations de "carburant à prix coutant", expliquait déjà : "Nous faisons l'effort maximum que la loi nous autorise à faire, car nous n'avons pas le droit de revendre à perte. Mais pour limiter l'envolée des prix je ne vois qu'un moyen : que les taxes soient diminuées. Je vous rappelle qu'elles représentent quasiment 60 % du prix d'un plein. Si le gouvernement le décide, je peux vous assurer que nous répercuterons immédiatement la baisse aux consommateurs". Dans les stations de l'enseigne, un plein de carburant à prix coûtant permettrait aux conducteurs une économie de 5 à 6 centimes par litre, soit seulement 2,5 € pour un réservoir de 50 litres.
Alors oui, il n'y a pas de petites économies, mais ce n'est pas comme ça que le pouvoir d'achat des Français va nettement s'améliorer alors même que 65 % des actifs utilisent leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail (étude Edenred avril 2023). Et d'autant plus que si ces opérations ne rapportent pas grand chose aux conducteurs, il semblerait que certaines enseignes rattrapent facilement leurs "pertes". Venu défendre les petites stations-services indépendantes au micro de FranceInfo, Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages, qui représente 2 000 entreprises, a estimé que les enseignes de la grande distribution répercutent les baisses du prix du carburant sur d'autres produits. Ce qui est "totalement impossible" pour les indépendants qui doivent "faire fonctionner les stations-service, payer les factures d'électricité, l'entretien des matériels...".
Pas de nouvelle ristourne envisagée par l'État
Alors quelle solution et quelle issue ? Il semble que la France soit dans l'impasse et qu'il faille désormais composer avec un prix au litre autour de 2 €. Car de son côté, le gouvernement a indiqué qu’il ne mettra en place aucune ristourne généralisée. En 2022, l’opération avait coûté 8 milliards d’euros à l’État, rappelle Le Parisien. La semaine dernière, Xavier Bertrand a réclamé une baisse de 15 à 20 centimes sur le litre. Mais pour Bruno Le Maire, il en est hors de question, puisque cela coûterait encore 15 milliards d'euros. Aucun "chèque carburant" à l'horizon, et encore moins de baisse de la fiscalité, donc, alors que le prix du baril est désormais installé au-delà des 90 dollars, et qu'il devrait encore grimper dans les semaines et mois à venir. Notons que, selon les derniers relevés officiels, le prix moyen national du gazole est de 1,88 €/l, celui du SP95-E10 de 1,94 €/l et celui du SP98 de 2 €/l.
J'ai mis à jour mes graphs sur la décomposition d'1L de carburant :
— Nicolas Meilhan (@NicolasMeilhan) September 8, 2023
- les marges brutes de raffinage dépassent 20cts pour le diesel et l'essence
- la marge brute de distribution de l'essence est presque 10 cts plus élevée que sur le diesel
- le pétrole ne représente que 50 cts pic.twitter.com/azCSW7DnUi