Plénière d'ouverture du salon Drive to Zero le 5 avril 2023.
© Mobilians
Keynote d'ouverture de Xavier Horent, délégué général de Mobilians, prononcée à l'occasion du salon Drive to Zero qui a lieu du 5 au 7 avril 2023 au Grand Palais Éphémère de Paris. Accrochez-vous au zéro !
Les synonymes de « zéro » ? « Nul », « néant », « rien ». S’agit-il de nous « driver » vers un vide vertigineux ?...
D’autres définitions sont plus stimulantes : ainsi, le zénith, qui désigne le point le plus haut sur une sphère, conduit vers une sorte de « zéro » vertical.
Avant de nous attarder sur ce « zéro » et ce qu’il implique pour notre industrie, merci à « Drive to Zero » et à ses héros qui l'ont rendu possible : Stéphanie Gay, Christophe Carignano et Pierre-Dominique Lucas.
Le projet est de nous embarquer aux frontières de l’automobile du futur !
Alors, allons-y !
Chiffre et concept, le zéro est ambivalent et insaisissable. Il a mis un temps infini… à être défini. Longtemps resté dans l’ombre des nombres, le zéro est la clef de voûte de la numération, l'axe autour duquel gravitent les chiffres. C’est le driver des mathématiques modernes, en ouvrant la voie aux fractions et aux nombres complexes. Mais cette invention circulaire, inspirante en soi pour l’automobile, est infiniment mystérieuse. Elle nous mène de l’Inde à l’Occident, en passant par la Chine, le monde arabe et l’Amérique centrale.
« Le zéro est le point de départ du décompte, mais c'est aussi le point de départ de la réflexion », écrivait Georges Perec.
La numération utilisée par les Égyptiens et les Grecs ne possédait pas de symbole pour le représenter. Les civilisations anciennes ne conceptualisaient pas des valeurs qui incluaient la notion d'absence de quantité.
Le symbole du zéro, alors manifesté par une virgule, a surgi en Inde au IIIe siècle avant l’année zéro du calendrier grégorien. Chiffré et introduit en Occident par les Arabes, c’est Fibonacci, mathématicien du 13e siècle, qui l’a popularisé en Europe. Au 17e siècle, Leibniz a développé le calcul infinitésimal en s’y référant.
Plus tard, on doit à Keynes la théorisation monétaire du « zéro nominal ». De même, le « point zéro » décrit le niveau de rentabilité d'un investissement – pressant objectif pour les acteurs de l’automobile ! En fiscalité, le seuil « zéro » de la courbe de Laffer est le point au-delà duquel l’État accuse un amoindrissement de ses recettes. Sans espérer un zéro trop libéral, on se contenterait d’un équilibre optimal au niveau des impôts de production, si l’on veut croiser les courbes de la réindustrialisation et de la décarbonation !
En économie, le « zéro » est utilisé pour désigner l'équilibre général du marché ou de la balance commerciale. En constatant les déficits de l’automobile, de l’ordre de 20 milliards d’euros, on comprend l’urgence d’une stabilité – si l’on ne veut pas être réduits à « zéro » !
Le « point zéro » est également un concept géographique, comme point de référence des distances, et métrologique, comme la mesure des tensions électriques. Tout un repère pour notre filière, qui subit un déplacement géostratégique de son centre de gravité vers l’Asie, tandis qu’on lui a indiqué l’électrique comme seul moyen de se rapprocher de l’horizon de la neutralité !
Signe des temps, le zéro est non genré. Sans signe positif ou négatif, il exprime une absence totale ou une quantité nulle, soit une forme de néant. Pourtant, il permet de concevoir l’innombrable – comme l’Himalaya de notre dette –, de fixer des coordonnées, et de stocker d’incalculables informations… bien utile à l’intelligence artificielle et aux téraoctets de datas issues des futures générations de véhicules connectés. L’aléa humain y sera, peut-être, réduit à zéro…
Ce chiffre n’est-il pas « parfait », du fait de propriétés infinies qui dépassent le « point limite » ?
Le zéro et l'infini sont des concepts complémentaires reliés aux notions de limite et de convergence. En géométrie, le zéro est utilisé comme un point de départ, tandis que l'infini est figuré par une asymptote. En physique, le zéro dit absolu désigne la température la plus basse possible : à - 273,15 degrés celsius, la matière n'a plus aucune agitation thermique… métaphore qui correspond à l’état produit par les récentes décisions européennes… L'infini est quant à lui une progression sans limite de grandeurs physiques, impossible à matérialiser pour une mobilité dont la vitesse et l’énergie sont, aujourd’hui, nécessairement « finies ».
Passons aux humanités. Dans la philosophie, le concept a été exploré par Parménide et Platon, qui ont questionné l'existence de l'absence. En Orient, le vide est compris comme une réalité fondamentale qui sous-tend l'existence. En fait, le zéro reste abstrait, fuyant, se dérobant sans cesse au regard et à l’action.
« Le zéro est l'infini des infinis et le néant des néants », comme le définissait Leonard de Vinci. Dans l'art, il incarne le minimalisme mais aussi la transformation, ou encore la négation. Songez aux « tableaux de feu » d'Yves Klein, ou aux « White Paintings », ces toiles monochromes de Robert Rauschenberg en apparence sans contenu. Un autre artiste américain, Jasper Johns, a créé plusieurs œuvres autour des zéros ou des cercles, symbolisant une permanente vacuité. De même, voyez les compositions de Mondrian, basées sur des formes géométriques comme manifestations de la perfection.
D’ailleurs, pour Kandinsky, « le zéro est le symbole de l'absolu et de la perfection ».
Ces expériences pures, qui réduisent l'art à son expression la plus simple, font imaginer les possibles traductions automobiles : les technologies et le design de nos créateurs parviendront, peut-être, à effacer l’empreinte de cet objet dans son environnement, ou à le faire se confondre avec lui. Pour Paulo Coelho, « le zéro n’est-il pas le point où les possibles se rencontrent ? ».
Dans la littérature, le zéro rejoint parfois l’absurde : pensez à La Condition humaine de Malraux, ou au néant insensé de Beckett. Et, de l’absurde à l’obsession, il n’y a parfois qu’un pas : il y a l’obsession, très française, pour le rail… mais l’objectif du « coût zéro » ou du « zéro défaut » peut-il aussi devenir l’obsédante finalité ultime d’une économie fascinée par sa propre disruption…
Le zéro peut encore signifier un commencement – comme dans Le Zéro et l'Infini d'Arthur Koestler – ou, mieux, une plénitude dont tous les épicuriens et les stoïciens sont à la recherche, sans jamais totalement y parvenir.
Ainsi, pour Hermann Hesse, « Le zéro est le point de départ et le point d'arrivée de toutes les quêtes ».
Quel est donc le « drive » de cette digression ?... Ouvrir un chemin illustrant combien le zéro est l’invariant mystérieux de l’humanité, qui cherche toujours à trouver, ou à revenir, à un point zéro métaphysique. L’automobile est l’un des domaines où sa quête est de l’ordre de l’odyssée et du dépassement.
On comprend la constante fascination qu’exerce le zéro, ce vide qui permet de tout remplir. Point de départ, présence d’une absence, incarnation du vide, frontière entre le positif et le négatif, porte ouverte sur l’infini, il est tout à la fois. Le zéro est la coordonnée de la création.
En inspirant une automobile conduite à ses limites, il en est devenu le « driver » essentiel.
N’en déplaise à nos sympathiques nihilistes du moment, nous ne partons pas de zéro…
Lisez Hannah Arendt, qui a théorisé les régimes politiques fondés sur la négation de l’histoire et la privation des droits, dont celui de se déplacer : il y a du totalitarisme dans ce zéro-là.
Lisez Martin Heidegger et sa critique de la technologie, manifestation de la volonté de puissance de l'homme, entraînant perte de sens et aliénation. Cette philosophie du zéro, née bien avant l’écologie moderne et la grève de l’école de Greta Thunberg, vise à arrondir autant que possible nos externalités négatives.
Elle repose sur l'idée que les systèmes économiques, sociaux et environnementaux sont connectés, et que la prospérité à long terme exige une stratégie systémique. Cette réflexion réévalue les priorités qui sous-tendent une économie sommée de faire une « révolution » sur elle-même.
Nul doute, à cet égard, que l'économie circulaire soit la matrice et la force motrice de la mobilité du futur. Si nous ne tournons pas en rond, elle est liée à la responsabilité sociale, à la justice environnementale mais aussi à la sobriété, concept fort ancien qui a pris un relief nouveau depuis le Covid et la guerre en Ukraine.
Nous y avons compris que l’abondance peut avoir une fin, et que la restauration de capacités productives décarbonées est le début de la souveraineté, surtout lorsqu’il s’agira d’assembler et de recharger plusieurs centaines de millions de batteries !
Enfin, la forme circulaire du zéro souligne l’importance de la dimension sociale, nécessairement inclusive – soit l’inverse des « ZFE » dont il n’a que la première lettre en commun. Une politique du zéro peut mener à de l’exclusion, redoublée d’un risque d’annulation des valeurs résiduelles des véhicules thermiques. Une telle perspective élargirait nos fractures territoriales alors que la mobilité doit servir à recoudre notre corps social. Cette trajectoire trace une ligne de conduite responsable pour notre siècle. Il s’est ouvert, pour l’automobile, sur le « dieselgate ».
On le retiendra comme « l’année zéro » de cette industrie, et peut-être même, avec le recul, comme un scandale salvateur. Nul ne conteste l’impact des émissions liées aux transports, entraînant des conséquences calculables pour l’humanité, désormais sur une ligne de crète.
Des progrès probants ont pourtant été réalisés, même si l’autobashing urbain, situé au degré zéro d’une politique des transports, cherche à les faire passer pour quasi nuls en se confinant dans un utopique zéro voiture. Pour tangenter vers ce graal du double zéro, carbone et émission, il faut mesurer la hauteur des marches et l’intensité des contraintes exercées sur les parties prenantes. La trajectoire est politiquement énoncée, avec un objectif de neutralité climatique d’ici à 2050, mais les paliers restent à fonder. La transition donne le vertige, tant les inconnues déséquilibrent l’équation - qu’il faut pourtant bien mettre à zéro !
Tout va changer dans notre manière de produire, de consommer, de se déplacer. Rappelons que la croissance économique et la mobilité sont liées, posant la question de savoir si la recherche d’une indispensable sobriété permettra d’obtenir le point zéro des investissements requis pour financer la métamorphose de nos modèles conventionnels.
En outre, avec plus d’un milliard de véhicules thermiques dans le monde, soulignons l’interdépendance avec la démographie, les experts estimant une multiplication par deux de nos besoins en mobilité d’ici à 2050.
Si le changement de paradigme est total, on touche aux limites des projections de déploiement à grande échelle de solutions soutenables et acceptables par le plus grand nombre. Dans le même temps, il apparaît une espèce d’impossibilité à poursuivre notre développement sur les mêmes bases. Et nous savons l’impact marginal d’un « drive to zero » principalement européen si les autres continents ne consentaient pas aux mêmes efforts dans un agenda commun.
Utopie ou nouvelle frontière, cette quête du zéro est devenue, au fil des « COP », un enjeu de civilisation.
Elle est aussi une source potentielle de guerres dont on sait combien le risque n’est jamais nul. La compétition mondiale dans l’accès aux ressources en eau, métaux et terres rares est déjà d’une intensité sans égale. La demande, exponentielle, aggravera la pression sur leurs coûts, mais aussi sur leur disponibilité et leur recyclabilité – à piloter comme autant d’asymptotes.
De même, faudra-t-il multiplier par quatre notre production d’électricité d’ici à 2040… La neutralité, c’est donc l’autre définition de la clairvoyance politique en matière technologique et énergétique. La mobilité, industrie du temps long, s’accorde mal avec une réflexion intermittente.
Pour l’automobile, le driver doit être la quête d’un absolu, c’est-à-dire : 0 émission, 0 accident, 0 congestion, et, bien sûr, 0 exclusion ! En repartant, presque, de zéro… nous y arriverons car notre génie continuera de se rapprocher de son zénith.
Nulle certitude sur le fait de savoir si la solution de l’électrique à outrance sera la bonne technologie, son bilan total – carbone ou RSE – étant censé se rapprocher du point zéro. L’Europe a fixé un cap, pour le pire, ou pour le meilleur. Même si ce choix remet nos compteurs à zéro, annulant les avantages compétitifs acquis par plus d’un siècle de motorisation thermique, nous devons garder le meilleur.
La meilleure part de notre héritage, c’est l’élan de l’innovation, la vitalité de l’esprit d’entreprise, l’excellence de la formation. Ce sont elles qui transformeront cette menace du zéro en une fantastique opportunité pour réinventer une civilisation de « l’auto-mobilité ».
L’échec serait un zéro pointé ! À l’inverse, si notre filière relève ce défi du zéro, sa réussite tractera mille progrès.
Merci à ce salon d’éclairer notre intelligence collective autour d’un écosystème de solutions. Visons la perfection, proche, la plus proche possible, de cette brillante invention circulaire. Elle incarne la virgule et l’infini de ce que le génie humain fait jaillir dans tous les arts.
Le zéro, voilà la solution, ce rien, qui permet tout !