Clément Molizon, délégué général de l'Avere-France.
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Ça y est ! Le cap des 100 000 bornes publiques ouvertes en France est atteint. Malgré un retard à l’allumage, le maillage de la recharge électrique sur le territoire gagne en ampleur en vue de soutenir les perspectives de développement de l’itinérance en VE. Délégué général de l’Avere-France, Clément Molizon a accepté de faire avec nous le point sur les prochains grands enjeux qui attendent l’électromobilité dans les mois à venir ainsi que sur le déploiement des points de charge au niveau du réseau autoroutier ou encore le nécessaire développement des bornes de recharge en copropriété.
L'Automobile & L'Entreprise : Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’annonce de cet objectif enfin atteint ?
Clément Molizon : On se réjouit évidemment car on parle de cet objectif depuis 2018, fixé dans le contrat stratégique de la filière automobile. Il faut aussi se rappeler qu’en 2018, la France ne comptait que 25 000 bornes et que, quelques années plus tard, ce chiffre a été multiplié par 4.
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Cela nous permet donc aussi de voir tout le chemin qui a été parcouru. Ce n’est cependant qu’un seuil parmi plein d’autres qui vont suivre, car, bien entendu, nous ne comptons pas nous arrêter à 100 000 bornes.
L'Automobile & L'Entreprise : Quel sera donc le prochain palier visé ?
Clément Molizon : Lors du dernier Mondial de l’Automobile, le président de la République Emmanuel Macron a émis le souhait d’atteindre les 400 000 points de charge pour 2030.
« C’était assez illusoire d’imaginer qu’on pourrait multiplier par 3 le nombre de bornes de recharge en l’espace de douze mois. »
C’est un objectif qui nous semble cohérent avec les exercices de prospectives que nous avons pu réaliser et qui nous situeraient entre 330 000 et 480 000 points de recharge nécessaires pour alimenter les véhicules électrifiés en circulation à cet horizon 2030. D’ici à la fin de la décennie, nous aurons sûrement d’autres occasions de fixer des objectifs plus proches et plus travaillés.
L'Automobile & L'Entreprise : Vous montrez-vous plus prudents sur les annonces de vos ambitions, l’objectif des 100 000 bornes ayant mis plus de temps que prévu à se concrétiser ?
Clément Molizon : Lorsque cet objectif a été avancé d’un an, fin 2020, nous n’étions encore qu’au tiers du nombre de bornes visés avec environ 30 000 points de charge. C’était en effet extrêmement ambitieux et cela ne prenait pas en compte les délais incompressibles de fabrication des matériaux, de livraison, de raccordement ou d’installation. Nous avons tout de même vu qu’une véritable dynamique de la filière avait été impulsée et mobilisée en 2021 avec la progression du nombre de points de charge. Cela traduit aussi qu’un certain nombre de freins et de complexités ont été levés grâce aux objectifs inscrits dans la loi et aux incitations financières qui ont pu être débloquées dans le cadre du programme Advenir.
Mis bout à bout, tous ces facteurs ont créé les conditions de l’électromobilité mais c’était effectivement assez illusoire d’imaginer qu’on pourrait multiplier par 3 le nombre de bornes de recharge en l’espace de douze mois. Il faut toutefois bien garder à l’esprit qu’avoir beaucoup de bornes sans les véhicules électrifiés, ça n’a pas beaucoup d’intérêt non plus. Je pense donc qu’il faudra en effet être prudents dans l’expression des prochains objectifs pour faire en sorte qu’ils soient ambitieux mais qu’ils restent aussi atteignables. Sinon cela envoie des signaux contradictoires aux utilisateurs potentiels, professionnels ou particuliers.
L'Automobile & L'Entreprise : Pourquoi l’objectif des 100 000 bornes a-t-il mis tant de temps à se concrétiser ?
Clément Molizon : Très honnêtement, je pense qu’on aurait pu difficilement faire mieux que ce que nous avons fait là. Le contexte sanitaire a probablement reporté un certain nombre d’installations mais, maintenant, nous arrivons en 2023 et je crois que ce qui n’a pas pu être engagé en 2020 l’a été depuis et que l’effet Covid se résorbe un peu.
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Là où nous aurions peut-être pu en faire encore plus c’est en raccourcissant encore certains délais de raccordement. Il y a également eu, dans certains cas, des problématiques de livraison de matériel et de composants, notamment sur les bornes rapides où la diversité de l’offre est, en plus, moins grande et compte moins d’acteurs.
L'Automobile & L'Entreprise : La recharge publique est-elle au niveau de la demande croissante en électricité et des chiffres de vente de VE ?
Clément Molizon : Je pense qu’elle est adéquate, ni trop en avance, ni trop en retard. Nous allons maintenant rentrer dans une phase d’approfondissement et de renforcement des réseaux avec un maillage assez important dans le sens où nous avons à la fois des collectivités et des syndicats d’énergie qui ont entrepris des déploiements, tout comme des parkings d’entreprises qui ont commencé à bien s’équiper, de même que les autoroutes.
« Ce qui est bien dimensionné pour 2023 ne le sera plus forcément pour 2025. »
À présent, il va falloir aller encore plus loin en permettant aux collectivités de redéployer des infrastructures et de bien les dimensionner, de faire en sorte que tous les bâtiments non-résidentiels respectent bien leurs obligations pour 2025, etc. Il faudra aussi rapidement penser à relancer des déploiements car ce qui est bien dimensionné pour 2023 ne le sera plus forcément pour 2025 ou les années qui suivront.
L'Automobile & L'Entreprise : Quant est-il du réseau autoroutier et de la recharge en copropriété ?
Clément Molizon : Sur autoroute, le pourcentage d’implantation est faible avec 1 553 points de recharge disponibles sur les aires de services en France à fin 2022. C’est une petite proportion mais qui s’avère cruciale car elle constitue un vrai levier à l’adoption de l’électromobilité. Tant que les autoroutes ne sont pas équipées, la perspective de l’itinérance électrique sur de grandes distances n’est en effet pas possible. D’ici à septembre 2023, 100 % des aires de service seront donc équipées avec un dimensionnement fait spécifiquement pour les périodes de pointe telles que les départs ou les retours en vacances, afin de limiter la saturation. Exactement comme pour les péages.
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Sur le sujet du droit à la prise, il paraît difficile d’aller plus loin car les process ont été clarifiés. Il ne faut donc pas hésiter à faire valoir son droit voire à l’imposer lorsque le syndic ne respecte pas ces obligations. Au niveau des infrastructures collectives, réfléchir de façon individuelle n’est pas efficace, surtout sur le long terme. Il vaut mieux pré-équiper les parkings pour faire en sorte d’accueillir progressivement les nouveaux utilisateurs de VE sans avoir à refaire des travaux d’envergure. Ces dernières années, nous avons ainsi vu plusieurs solutions émerger et nous attendons encore quelques textes réglementaires et d’application pour que le dispositif de préfinancement par le GRD (Gestionnaire de réseau de distribution), principalement Enedis, puisse être activé mais cela devrait l’être dans les prochaines semaines. Nous espérons donc voir les premières demandes tomber dès cet été, voire fin 2023.
L'Automobile & L'Entreprise : Quelles améliorations du réseau de recharge public pourraient être envisagées ?
Clément Molizon : Il y a un sujet autour de la puissance en cours et pour les territoires qui n’ont pas encore entrepris des installations de bornes rapides, elles seront faites entre aujourd’hui et 2025.
« Il peut ainsi y avoir un réseau existant qui incarne plus un handicap qu’un avantage. »
Concernant la qualité de service et la disponibilité des points de charge, nous allons faire en sorte d’avoir des bornes fonctionnelles, ce qui passe évidemment par un niveau et des exigences de maintenance accrus induisant des coûts de fonctionnement importants. Malheureusement, tous les opérateurs n’arrivent pas à atteindre la rentabilité car les aménageurs publics ont, au début, fait face à des bornes peu utilisées. Ce manque de recul a aussi été constaté sur la typologie de bornes qu’il était pertinent d’installer ou sur le lieu d’implantation. Il peut ainsi y avoir un réseau existant qui incarne plus un handicap qu’un avantage pour certaines collectivités, avec des bornes peu ou pas utilisées, ce qui rend compliqué la perspective d’une rentabilité.
Il faut aussi œuvrer sur l’expérience utilisateur comme le fait d’avoir, par exemple, un abri pour ne pas se mouiller quand il pleut pendant que l’on programme sa recharge. Nous voyons aussi se développer des opérateurs proposant d’autres services afin d’occuper les conducteurs pendant leur temps de recharge. Enfin, il y a actuellement des développements en termes d’innovations avec le plug and charge, la recharge intelligente ou la recharge bidirectionnelle pour rendre l’utilisation de plus en plus simple et de moins en moins contraignante.
L'Automobile & L'Entreprise : Comment imaginez-vous la tendance de la mobilité électrique dans les années à venir ?
Clément Molizon : Les seules raisons pouvant expliquer une stagnation ou une baisse de l’électromobilité seraient une logique de démotorisation individuelle, nombre d’usagers renonçant à posséder un véhicule pour se tourner vers des modes de mobilités douces ou partagées.
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Il y a peu de chance toutefois que l’on assiste à une décroissance car l’avenir de l’automobile est électrique et décarbonné, la solution la plus crédible, mature et disponible aujourd’hui étant le VE – parmi lequel on compte tous les véhicules à batterie et donc aussi l’hydrogène dans des proportions certes moindre pour les véhicules particuliers. En tout cas, les annonces réglementaires confortent les projets en faveur de l’électrique.
L'Automobile & L'Entreprise : Les entreprises ont-elles toujours un rôle à jouer dans l’infrastructure de recharge ?
Clément Molizon : Je pense que c’est une condition de succès à la fois pour elles et pour l’industrie comme l’économie mais aussi une condition du succès de la mobilité électrique car la moitié du parc électrifié neuf est acheté par les sociétés.
« Nous avons cerné l’enjeu de l’innovation pour intégrer les énergies renouvelables à la recharge électrique. »
C’est également une bonne chose pour le marché de l’occasion qui sera levier de l’accessibilité de la mobilité électrique pour tous puisqu’il se trouve régulièrement abondé par les entreprises. Il est donc important que les flottes continuent à s’inscrire comme des acteurs de premier plan de la transition énergétique et écologique du parc automobile.
L'Automobile & L'Entreprise : Quels projets comptent mener l’Avere pour les années à venir ?
Clément Molizon : Il y a un nouveau contrat stratégique de la filière automobile en préparation et il pourrait y avoir de nouveaux objectifs fixés dans ce cadre-là. Nous pensons aussi à la loi de programmation énergie climat et les textes qui suivront, PPE (programmation pluriannuelle de l'énergie) et SNBC (stratégie nationale bas-carbone) en particulier. Vis-à-vis de la PPE, l’objectif des 100.000 bornes était également fixé pour fin 2023, donc par rapport à ce dernier nous sommes en avance !
Un travail de planifications écologiques va aussi être fait cette année pour des échéances à l’horizon 2027-2028, ainsi que des travaux de prospectives et une poursuite du maillage privé comme public. Nous avons aussi cerné l’enjeu de l’innovation pour intégrer les énergies renouvelables à la recharge électrique ainsi que la question de la démocratisation de la mobilité électrique, de son pilotage et la prise en compte de la mobilité lourde électrique après les annonces fortes de nombreux constructeurs. Bref, il faut rediscuter avec l’ensemble de l’écosystème de nos hypothèses de décarbonation et, si nous avons déjà lancé beaucoup d’actions, il reste encore fort à faire !