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Les prix des énergies ont atteint des sommets ces derniers mois, contraignant ainsi l'État à réagir tandis que les entreprises et les particuliers se résignaient à moins consommer. Et si la crise énergétique actuelle affectait durablement la mobilité électrique ?
La France enchaîne les crises. Après deux années harassantes marquées par la pandémie de Covid-19, particuliers et professionnels aspiraient à (re)prendre une vie normale. Mais la crise sanitaire est venue perturber l’équilibre économique et industriel mondial. Dans le secteur automobile, cela a notamment donné lieu à des pénuries de composants – dont les fameux semi-conducteurs indispensables dans toute automobile – ou de matières premières, allongeant ainsi les délais de production et donc de livraison. Ce qui a conduit à renchérir le coût des véhicules, y compris d’occasion.
Depuis un peu plus d’un an maintenant, voilà que les Européens, et donc les Français, font face à une crise énergétique débutée en même temps que le conflit armé opposant la Russie à l’Ukraine. En réalité, « la situation que nous connaissons est une tempête parfaite, soit la somme de plusieurs événements », tempère Xavier Pinon.
Lancée en plein cœur de l’hiver, la guerre en Ukraine – fortement médiatisée – a bien entendu contribuée au phénomène car « une partie de l’électricité européenne est produite à partir du gaz et, à partir du moment, où la Russie a commencé à couper le robinet, les coûts ont augmenté », rappelle le cofondateur du comparateur Selectra. Mais le terreau de la crise était déjà là avant le début de l’offensive.
« La hausse des prix de l'énergie ? Une tempête parfaite ! »
« Il y a eu des retards de maintenance du parc nucléaire français liés aux confinements successifs, puis des problèmes de corrosion sous tension sur les réacteurs d’EDF et enfin, un épisode de sécheresse qui a fortement réduit la part d’hydroélectricité habituellement produite », pointe encore cet expert, auteur de l’ouvrage « Le marché de détail de l’énergie : la concurrence en action dans l’électricité et le gaz » (L’Harmattan).
Au point qu’en août 2022, au moment où les fournisseurs débutaient leurs achats d’électricité pour l’hiver – et que les différents États européens cherchaient, eux, à sécuriser leurs réserves de gaz pour cette période – le mégawattheure (MWh) d’électricité atteignait sur les marchés de gros la somme astronomique de 1 300 euros contre une moyenne de 50 euros habituellement.
« Le prix de gros est l’une des trois composantes du prix de détail payé par le consommateur, à côté du coût des réseaux et du montant des taxes », rappelle l’économiste Jacques Percebois dans une publication de l’association Équilibre des énergies. Une structure fédérant des entreprises des secteurs de l’énergie, du bâtiment et de la mobilité et faisant la promotion de mesures concrètes pour une transition énergétique durable. Par ailleurs directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN), ce dernier souligne également que « la hausse du prix du CO2 sur le marché européen du carbone [60 €/t, ndlr] a accentué le phénomène et, comme la France est importatrice d’électricité carbonée aux heures de pointe, elle a subi ces augmentations », répercutées aux clients finaux : industriels, entreprises et particuliers.
L’État à la rescousse, au grand dam des finances publiques
Dans cette « tempête parfaite », l’exécutif a rapidement pris conscience qu’il fallait agir. Et ce, sur plusieurs fronts. « Tous les outils possibles ont été mobilisés : les modalités de calcul des tarifs réglementés de vente d’électricité ont changé, des baisses de taxes ont été appliquées tandis que qu’un dispositif de compensation tarifaire a été mis en place par l’État, qui prend à se charge une partie de la différence de prix », énumère Xavier Pinon. Ce qui n’est pas sans conséquence pour les finances publiques.
Les opérateurs de recharge - comme ici Ionity - ont eux aussi bénéficié du bouclier tarifaire.
Le bouclier tarifaire appliqué aux particuliers et à la recharge électrique [voir encadré], le chèque énergie exceptionnel d’un montant de 100 euros accordé automatiquement à des millions de foyers, et l’amortisseur électricité mis en place pour les entreprises et les industriels représentent « un coût stratosphérique pour la collectivité ». Mais avec ces mécanismes, la France « est le seul pays à avoir fait face à la crise énergétique et à l’inflation. Sans cela, les factures auraient été bien plus élevées », ajoute-t-il.
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Se pose toutefois la question d’un éventuel rééquilibrage des finances publiques assuré par les automobilistes pour compenser le poids de ces nombreuses aides accordés aux consommateurs. D’autant que, si la mobilité électrique se développe encore davantage dans le pays comme le souhaitent les autorités ainsi que l’Union européenne, les ressources assurées par la vente de carburants (TVA, TICPE, …) sont appelés à disparaître.
Pour le cofondateur de Selectra, les automobilistes roulant en véhicules électrifiés ne devraient pas être mis à contribution de sitôt. « L’évolution de la fiscalité sur l’électricité en tant que carburant pour les véhicules va se heurter à la question de son usage résidentiel : comment faire pour distinguer l’électricité consommée pour les besoins domestiques de celle utilisée comme carburant ? Comment la facturer au bon prix ? », relève-t-il. En revanche, la fin du bouclier tarifaire permettant de limiter l’augmentation du prix du kilowattheure (kWh) en charge, et le réajustement (à la hausse) des taxes sur l’électricité est prévisible.
L’Europe maintient son objectif zéro carbone
Les discussions actuellement menées à Bruxelles montrent que l’objectif commun d’une mobilité zéro carbone à l’horizon 2035 n’est nullement remis en cause par la crise énergétique qui affecte les États-membres à des degrés différents. Aussi, face à une demande croissante d’électricité pour de nouveaux usages – comme la mobilité – la stabilité des prix pourrait être une nouvelle fois menacée.
« La volatilité et la spéculation sur les tarifs de l’électricité sont importantes, mais la situation peut aussi tendre à se stabiliser, comme cela se fait sur les cours du carburant, qui ne semblent pas partis pour baisser pour autant. Il faudrait une augmentation vraiment élevée et durable pour que la voiture électrique perde son avantage sur le véhicule thermique », tempère toutefois Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France. C’est aussi oublier un peu vite le concept de sobriété, qui apparaît alors comme un bon régulateur pour le marché de l’énergie.« Le facteur prix est le signal qui déploie la sobriété. Plus qu’une approche environnementale. En jouant le jeu [notamment pendant la période hivernale, ndlr] industriels, entreprises, collectivités l’ont démontré », constate Xavier Pinon.
« Le facteur prix est le signal qui déploie la sobriété »
Dans tous les cas, l’industrie automobile s’est bien préparée à un monde tout-électrique, à plus ou moins brève échéance. Rares sont les constructeurs à ne pas encore avoir présenté leur plan d’électrification ni commencé le développement de leurs modèles zéro émission.
La consommation d'électricité en France a globalement chuté au cours de l'hiver 2022 par rapport aux années précédentes, selon les relevés de RTE.
Pour mémoire, le groupe franco-italo-américain Stellantis maintient comme objectif le passage en 100 % électrique de l’ensemble de ses marques à l’horizon 2030. « Nous préparons les conditions pour atteindre 100 % de BEV [véhicules électriques à batteries, ndlr] vendus en Europe et 50 % aux États-Unis à l'horizon 2030. Nous prévoyons d'avoir 75 modèles électriques [dont 25 spécifiques au marché américain] et d'en vendre 5 millions chaque année dans le monde à l'horizon 2030 », indiquait l’an dernier Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis lors de la présentation du plan stratégique « Dare Forward 2030 ». Bien entendu, le calendrier est spécifique à chaque constructeur. Ainsi, pour Abarth l’électrification complète de la gamme – ce qui signifie qu’aucune nouveauté ne sera lancée avec un moteur thermique – est prévue en 2024, chez DS Automobiles idem. Pour Jeep ce sera le cas en 2025 et pour Lancia en 2026. Alfa Romeo et Fiat seront concernées en 2027 tandis que viendra le tour d’Opel en 2028 et enfin de Peugeot en 2030.