Handiconduite : la liberté retrouvée
C’est peut-être la première fois que vous entendez ce terme et pourtant il constitue un sujet crucial et d’intérêt public. L’Handiconduite permet en effet aux personnes que l’on dit « à mobilité réduite » de l’être un peu moins. Et démontre que l’on peut toujours prendre sa voiture, qu’elle que soit sa condition physique, à condition d’être bien équipé.
Selon l’Insee, 9,6 millions de Français seraient en situation de handicap. Or, pour ces presque dix millions d’âmes dont la résilience s’avère exemplaire, cela n’a rien d’une fatalité. Daphnée Gagnage, auteur du blog 1 parenthèse 2 vies, en témoigne au quotidien en prenant le volant comme n’importe quel automobiliste. Cette jeune femme de 28 ans au caractère aussi solaire que déterminé est devenue « tétraplégique incomplète » après avoir glissé en voiture sur une plaque de verglas, il y a sept ans. Pilote aguerrie avant son accident, elle n’a jamais renoncé à reprendre la route en toute autonomie. Persuadée de retrouver ce « sentiment de liberté » que procure la conduite et soutenue par des proches qui se sont engagés à ne pas lui communiquer leur appréhension, Daphnée a pu retrouver les sensations de l’asphalte après deux ans de rééducation. Ainsi, « même si mes commandes sont différente, une fois que je suis dans ma voiture, je me sens comme tout le monde », affirme cette courageuse Berruyère.
Ne laisser personne sur le bord de la route
Que ce soit pour se rendre au travail, faire des courses ou aller voir sa famille et ses amis, rouler autrement qu’en fauteuil, et ce sans entraves autres que la ceinture de sécurité, c’est bon pour le moral. De même, cela prouve à une société qui a tendance à marginaliser, voire oublier les personnes à mobilité réduite, qu’elles ont pourtant les capacités de quasiment tout faire si on leur en donne les moyens. Sur ce dernier point, il faut se tourner vers des sociétés spécialisées dans l’équipement handiconduite telles que Sojadis.
Cette entreprise familiale, qui s’est penchée sur cet enjeu dans les années 1980, conçoit, fabrique et installe des solutions d’aide à la conduite pour les personnes en situation de handicap, qu’il s’agisse de particuliers ou d’auto-écoles. Car si l’ensemble du territoire français n’en compte pas encore une par département, nombre de ces structures d’apprentissage ont en effet intégré des voitures « handi-adaptées » dans leur flotte. À l’image de l’ECF, qui affirme pouvoir « répondre à 80% des handicaps grâce à ses véhicules aménagés spécifiquement, un cursus individualisé et des formateurs experts du handicap ».
Comptant parmi les acteurs précurseurs de « l’handi-équipement », Sojadis a à cœur d’élaborer les produits les plus innovants mais aussi et surtout les plus sécurisés. « Au début de notre histoire, nous avions la frustration d’installer des équipements dont nous n’étions pas satisfaits de la qualité », raconte Adeline Humeau, responsable qualité et fille du fondateur de Sojadis. Par conséquent, « nous avons décidé de développer notre gamme afin d’avoir la maîtrise du produit, depuis son développement en interne jusqu’à la fabrication. » Alors que le code de la route liste et définie assez précisément les équipements nécessaires à l’handiconduite selon les invalidités motrices courantes, les six personnes dédiées au bureau d’étude travaillent ainsi à améliorer les solutions existantes et à concevoir des systèmes « visant à compenser le handicap ».
Après un process de validation de tests CE et d’homologation plus ou moins long en fonction du degré de technologie du produit, la gamme de Sojadis est ensuite expérimentée par un panel de clients. Une implication visant à « comprendre aux mieux les besoins de l’utilisateur pour penser une solution la plus ergonomique et adaptée possible », souligne Adeline Humeau.
En tout, ce parcours peut prendre en moyenne deux ans entre la conception et la commercialisation car « on ne veut rien bâcler. C’est un défi de tous les jours de proposer des équipements de qualités sur des volumes de niches à un coût accessible », justifie Adeline Humeau. A fortiori parce que Sojadis a développé un réseau de partenaires européens spécialistes (environ 30 sur la France et 60 sur l’Europe) mais travaille aussi sur le grand export vers d’Australie, la Corée et 21 autres pays du monde. Cependant, si l’entreprise prend autant de précautions, c’est surtout pour éviter la panne à tout prix puisque cela serait synonyme de priver un handi-conducteur de son seul moyen de mobilité.
Se déplacer sans dépendre d’un chauffeur
Pour parler de cette handi-mobilité, rien ne vaut le témoignage de la première concernée. Sans tabous, Daphnée Gagnage nous a donc détaillé son parcours du combattant pour reprendre le volant. Tout d’abord, que l’on soit primo-conducteur ou déjà détenteur du permis, le premier passage obligé est la visite médicale permettant de définir si les capacités cognitives et sensorielles de la personne le rendent aptes à la conduite. C’est également au moment de cet examen de santé que les aménagements nécessaires à la reprise en main d’un véhicule seront déterminés et précisés, sous forme d’un code, sur le permis de conduire. À noter que celui-ci est délivré de manière illimitée pour les conducteurs attestant de l’immuabilité de leur handicap, alors qu’il n’est valable que de 2 ans pour les personnes âgées de 60 à 76 ans.
Freins manuel et manettes accélérateur si l’usage des membres inférieurs n’est pas possible, dispositif de commande en forme de boule multifonction sur le volant, boîte de vitesse automatisée, bras robot à la place de banquette arrière pour ranger le fauteuil… L’équipement se doit d’être sur mesure pour le confort maximal du conducteur. Tout en étant « pensé pour qu’il soit aussi utilisable par les valides puisque certaine famille n’ont qu’une seule voiture à se partager », fait justement remarquer Adeline Humeau.
Pour freiner d’une main, le Stopdis de Sojadis s’actionne par poussée horizontale sur la commande.
Après avoir décroché l’autorisation du médecin, vient ensuite le temps de se réapproprier un véhicule et de reprendre ses marques. « On n’apprend pas à conduire mais à adapter sa conduite, comme quand on change de manettes de jeu vidéo », illustre Daphnée. Pour se faire à ses nouvelles commandes, la jeune femme n’a donc eu besoin que de six heures de conduite avec une instructrice d’auto-école. Puis arrive le plus fastidieux : le choix de son « carrosse ».
La liberté a un prix…
Avant d’acheter sa « citrouille », comme Daphnée surnomme affectueusement son Renault Captur orange, il faut opérer une sélection préalable drastique afin d’éliminer les voitures trop petites ne pouvant pas accueillir de chaise roulante ou trop grosses et difficiles à manœuvrer. Sans oublier que le véhicule ne doit être ni trop bas ni trop haut afin de faciliter les transferts du fauteuil au siège conducteur. Une révision de ses priorités, quitte à faire des concessions sur les modèles retenus. Pour finir, ne reste qu’à lister un tableau comparatif des fiches techniques, essayer le bolide en vrai et d’établir un devis « pour bénéficier des aides et justifier à la MDPH [Maisons départementales des personnes handicapées, ndlr] pourquoi on choisit ce prestataire plutôt qu’un autre », précise Daphnée.
Il faut dire que les dépenses engendrées par les aménagements que nécessite l’handiconduite s’avèrent loin d’être anecdotiques. Dans son cas, Daphnée a en effet dû débourser 10 000 euros rien que le bras robot, comprenant le changement de la portière pour qu’elle soit électrique et coulissante. Et ce sans compter la main d’œuvre et les autres équipements de commande de bord, de l’ordre de 1 000 ou 2 000 euros pièces. Et si la MDPH prend en charge à 100 % les frais d’aménagement de moins de 1 500 euros, ce taux tombe à 75 % au-delà et jusqu’à 5 000 euros. Heureusement, il existe d’autres organismes de prestation de compensation en dehors de la sécurité sociale et des mutuelles. Un handi-conducteur peut ainsi solliciter – sous conditions, suivant ses revenus et la nature de son handicap – l’aide du FIPHFP* (Fond pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) à hauteur de 7 500 euros maximum. Ou encore l’Agefiph (Association pour la gestion des fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) pour un montant maximum de 5 000 euros.
Des aides individuelles peuvent également être demandées auprès des conseils départementaux ou régionaux, de la CAF ou de certains comités d’entreprise. Enfin, grâce à l’action de l’Association des accidentés de la vie (FNATH), les handi-conducteurs peuvent se voir exonérés d’écotaxes si leur véhicule est jugé comme polluant. Quant aux assurances, sachez qu’elles ne doivent pas être majorées au regard de la situation de handicap, cela serait totalement illégal. Autant de subtilités administratives dont Daphnée admet qu’elle n’aurait jamais eu connaissance si elle n’avait pas été accompagnée dans ses démarches par le centre de rééducation.
Passer à la vitesse supérieure sur l’information
S’avouant chanceuse d’avoir évolué dans cet « écosystème où tous les acteurs capables de vous dispenser des conseils se trouvent sur place et vous offrent un suivi complet », Daphnée n’ose même pas imaginer si elle avait dû entreprendre toutes ces formalités toute seule. D’autant que « ces aides sont très aléatoires, elles dépendent de plein de critères différents. Par exemple, si vous avez une sclérose en plaque c’est plus compliqué que si vous avez été accidentés », concède-t-elle, compatissante. L’éducation et l’information de tous sur l’handiconduite apparaissent donc comme un point à traiter d’urgence. Au point que Sojadis a édité un livre blanc l’année dernière (le premier du genre !). Dans ses pages, Thierry Leclercq, dirigeant de l’enseigne d’aménagement de véhicule CEA (pour conduite et autonomie) de Lille enjoignait d’ailleurs « médecins, ergothérapeutes, moniteurs d’auto-école, garagistes, acteurs sociaux, assureurs et installateurs » à « travailler ensemble, au-delà de l’initiative de chacun, pour créer de vrais réseaux handiconduite » .
Boule multifonction Comdis de Sojadis, dispositif sur le volant pour l’aide à la direction.
Un avis bien entendu partagé par Adeline et Daphnée qui, avec sa Carte mobilité inclusion (CMI), entend bien être « considérée comme n’importe quel conducteur, même pendant contrôle de police ». Automobilistes comme les autres, n’auraient-ils pas droit à une finition de modèle spéciale comme les gammes « Sport » ou « Business » ? Nous avons soumis cette question à Adeline Humeau qui nous a avoué avoir déjà eu cette discussions avec des constructeurs et que la réticence portait sur les volumes, n’ayant rien à voir avec ceux de masse et relevant ainsi d’une complexité à mettre en place économiquement.
Pourtant, l’handiconduite pose la problématique, plus large, de l’accessibilité des personnes à mobilité réduite en général : à quand des espaces publics adaptés ? Des trottoirs moins étroits ? Des places hadicapées plus nombreuses et qui soient vraiment réservées à ceux qui en ont besoins et des transports en commun réellement empruntables ? Et que les hérauts de l’écologie ne s’offusquent pas lorsqu’on voit que « la voiture reste, malgré tout, pour ces personnes un mode de déplacement plus simple que les transports en commun, constat que la crise traversée va sans doute renforcer », pointe du doigt la représentante de Sojadis. Car, il est important de le rappeler, aucun de nous n’est à l’abri d’un coup du sort. Et pourrait très bien, dès demain, se retrouver en fauteuil, privé de sa mobilité, comme lorsque nous étions confinés. Demandez donc à Daphnée…
* On ne peut s’adresser au FIPHFP que si l’on fait partie partie de la fonction publique alors que l’AGEFIPH s’adresse aux salariés du secteur privé.
Retrouvez cet article dans le n°257 (juillet 2020) de L’Automobile & L’Entreprise.