© Jean-Claude Guilloux / PFA
Directeur général de la Plateforme de la filière automobile et mobilités depuis 2018, épaulant au quotidien son président, Luc Châtel, Marc Mortureux revient sur l'année compliquée traversée par l'industrie automobile française, qui n'a cependant de cesse de se transformer.
L’Automobile & L’Entreprise : La PFA et le CCFA (Comité des constructeurs français d'automobiles) se sont rapprochés l'an dernier, en cours d'année. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et quelles sont désormais les missions de la maison commune que vous dirigez ?
Marc Mortureux : La PFA (Plateforme de la filière automobile et mobilités) est le représentant de la filière automobile pour son volet industriel. C'est-à-dire des constructeurs (Stellantis, Renault, ...), des équipementiers (Michelin, Faurecia, ...) et des fournisseurs. Cela représente environ 4 000 acteurs et, un peu moins, de 400 000 emplois. Elle assure une mission traditionnelle de défense des intérêts des acteurs de l'automobile mais aussi une mission d'accompagnement, très opérationnelle, de la transformation industrielle de ces acteurs. Cette seconde mission comprend un volet innovation / R&D permettant de construire une feuille de route technologique et conduire de grands projets autour, par exemple, des véhicules autonomes ou de la 5G. Enfin, un volet standardisation permet de se mettre d'accord sur des règles et des normes. La PFA est par ailleurs dotée d'un comité industriel visant à identifier de bonnes pratiques et à les transférer aux entreprises (performance industrielle, usine 4.0) et propre une série de dispositif d'accompagnement de la filière et des compétences, permettant de voir comment transformer et faire "monter en gamme" les compétences des salariés et préparer leur reconversion dans ou en dehors de la filière dans le cadre de la transition énergétique traduite par l'arrêt du moteur thermique. Le regroupement des activités de la PFA et du CCFA s'inscrit dans une volonté de simplifier les activités et de parler d'une seule voix. Nous sommes régulièrement très en liens avec la filière aval représentée par Mobiliance (ex-CNPA), notamment dans le cadre du Comité stratégique de la filière, présidé par Luc Châtel. Il faut garder en tête que tout ce qui va impacter l'amont, va impacter l'aval.
A&E : La filière automobile connaît et traverse plusieurs crises depuis quelles années déjà. La situation apportée et héritée de la pandémie de Covid-19 n'est-elle pas celle de trop ?
MM : Dès 2018, nous avons mobilisé la filière - de façon très volontariste - dans une transition énergétique avec l'engagement de multiplier par cinq les ventes de véhicules électrifiés entre 2018 et 2022 en échange d'un engagement de l'État de développer les infrastructures de recharge. Ce virage, lié au fait que les constructeurs n'avaient pas le choix a permis de mettre en mouvement tout le monde. Malgré la crise Covid, nous avons réussi ce décollage du véhicule électrique. Presque au-delà des attentes. La filière automobile est clairement en mouvement : ça s'accélère. Début 2020, c'est d'ailleurs l'un des facteurs qui a sûrement conduit à une accélération, une généralisation de la transformation. Il y a eu une assez bonne anticipation et des investissements massifs engagés.
Jamais pendant la crise sanitaire nous n'avons cherché à remettre en cause cet objectif de la transition énergétique sous prétexte des contraintes sanitaires, en étant convaincus que cette crise allait accélérer la prise de conscience écologique de la société. Cette transition, ce n'est plus un débat. Notre sujet, c'est comment on réussit à la faire dans le respect de l'objectif initial qui est la baisse des émissions de CO2 et la capacité à transformer le entreprises pour conjuguer transition et rebond de l'industrie. Il n'y a en revanche pas de questions, ni d'hésitations. C'est engagé. Il faut réussir.
A&E : Quel regard portez-vous sur la période 2020-2021 ?
MM : On a eu une année 2020 rude par l’arrêt de la production pendant trois mois, mais aussi un Gouvernement très attentif à ne pas casser l’outil industriel. On est très reconnaissants du soutien apporté sur tous les volets : activité partielle, redémarrage, aide à la conversion, bonus, plan de soutien négocié en mai 2020 afin de traverser l’année en préservant le plus possible les entreprises et les savoir-faire… tout en ayant une chute historique de -25,5 % du marché qui nous a ramené des dizaines d’années en arrière. En 2021, on espérait remonter, faire la moitié du chemin perdu – regagner de 10 à 15 % – mais ça c’est très difficile pour la filière. On finit l’année à peu près au même niveau que l’année dernière. Aussi, que ce soit en terme de marché ou de production, le bilan est très en retrait par rapport à 2019. C’est la première fois dans l’histoire qu’on a deux années de suite historiquement basses. On voit bien que les conséquences du Covid-19 sur la filière automobile sont incroyables.
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A&E : Vous faites sûrement référence aux pénuries de matières premières et de composants qui désorganisent la production et rallongent les délais de livraison des clients finaux…
MM : Les effets indirects, comme la pénurie des semi-conducteurs, sont encore plus forts que l’arrêt de la production sur une durée limitée. On est sur une perte de production liée aux pénuries énorme et l’Europe est tout particulièrement frappée. Cela rend la situation compliquée : on constate des hausses du coût des matières premières, de l’énergie, du transport et les entreprises sont confrontées à des problèmes de trésorerie. On donc une double préoccupation : que peut-on faire ? Quelles sont les mesures à mettre en œuvre ? Quand tout va redémarrer, on espère que les entreprises auront la capacité à faire face en fonds de roulement, notamment.
A&E : Comment cela se fait-il que la filière a été piégée de la sorte ?
MM : Pour en revenir à la pénurie qui désorganise la production et le marché, il faut se remémorer qu’une automobile c’est un produit tellement sophistiqué qu’il suffit qu’un composant manque pour que tout soit paralysé ! Il y a une vulnérabilité intrinsèque de l’activité. Ce qui est très clair également, pour en revenir aux semi-conducteurs, c’est que jusqu’à présent l’automobile était en capacité d’imposer à la supply-chain de s’adapter à ses besoins. Or, avec l’avènement du numérique, dans le domaine des composants électroniques, l’automobile est désormais un secteur qui ne pèse plus beaucoup. En parallèle, le renchérissement du coût final des véhicules pour des questions réglementaires mais aussi de conformité aux nouvelles attentes des clients, a conduit à une optimisation à outrance des chaines d’approvisionnement… qui ont aussi leurs propres vulnérabilités et fragilités.
A&E : Les entreprises de la filière ont pourtant eu la possibilité à de recourir à des dispositifs de soutien massifs et exceptionnels…
MM : Les PGE [prêts garantis par l’État, ndlr] ont permis de soutenir l’activité post-confinement. Mais, on sent bien qu’un certain nombre d’entreprises qui n’avaient pas encore utilisé leur PGE sont en train de le faire maintenant. Dans les demandes que nous recevons, le souhait de bénéficier d’une plus grande souplesse dans le remboursement revient plus clairement que celui de pouvoir emprunter davantage. Sachant qu’il y a déjà beaucoup de projets déposés par les entreprises en matière d’investissements, de modernisation, de diversification. Les entreprises du secteur automobile sont conscientes d’être entrées dans une période de profonde transformation. Si elles ne prennent pas le risque d’investir pour s’adapter, elles courent à leur disparition. Néanmoins, depuis 18 mois, la filière automobile a été la plus active dans les projets d’investissements et c’est un élément très positif !
A&E : Comment se traduit concrètement cette transformation, cette modernisation de l’industrie automobile française ?
MM : La première et profonde transformation, c’est la transition énergétique. C’est clair qu’on est dans un processus bien engagé par le contrat de filière. On s’était donné l’objectif d’atteindre un million de véhicules électrifiés à fin novembre et on était déjà bien au-dessus ! En dix-huit mois, le rythme de cette évolution a bien changé. Depuis, il y a eu la présentation de la feuille de route européenne « Fit for 55 », actant la fin complète de tout ce qui n’est pas zéro émission en 2035. On est dans une accélération incroyable et tout cela à des conséquences très importantes pour beaucoup d’entreprises de la filière.
Indépendamment de ce qui peut et va être négocié au niveau européen dans le courant de l’année, les constructeurs sont partis dans cette transformation et veulent accélérer le mouvement. Quand on voit la réussite d’un constructeur comme Tesla – et sa valorisation [1 000 milliards de dollars, ndlr] – tout le monde rêve d’être parmi les premiers à devenir « pure-player », pas que de la partie électrique mais aussi de tout l’écosystème numérique et digital. Le plus prégnant, à court terme c’est la réussite de la transition énergétique, une transition énergétique radicale qui ne laisse que peu de place aux solutions alternatives [comme la motorisation hybride, ndlr].
Là où cela se complique pour l’industrie française, c’est que des acteurs [étrangers] n’ont pas à supporter cette transformation et peuvent directement investir des sommes colossales. D’un certain côté, la motorisation électrique ne va pas être un élément différenciant demain quand tout le monde y sera mais les services associés, oui. Il y aura donc de lourdes conséquences à gérer pour les entreprises historiquement impliquées dans les motorisations thermiques qui risquent de ne pas être capable, d’être dans les tout premiers. Aussi, les chaînes de valeur de demain vont être liées à tout ce qui est connectivité et services associés. La bataille de l’industrie est rude… mais tout n’est pas perdu !