Maître Bertin décode le jugement de l'affaire Chevrolet

Jean-Pierre JAGU-ROCHE
Maître Bertin décode le jugement de l'affaire Chevrolet

Maître Bertin décode le jugement de l'affaire Chevrolet

Chevrolet a perdu son bras de fer face aux concessionnaires français. Maître Renaud Bertin, qui défendait plusieurs membres du réseau français ainsi que le CNPA, revient sur la condamnation du constructeur à verser près de 8 millions d’euros de dommages et intérêts.

Auto Infos : Êtes-vous satisfait de la décision du tribunal de commerce de Paris concernant l’affaire Chevrolet ?

Renaud Bertin : Sur le principe, la réponse est positive. Il s’agit d’un jugement très bien motivé, qui met parfaitement en lumière les fautes successives commises par Chevrolet France. Le tribunal a constaté que Chevrolet avait notifié un préavis de résiliation de 24 mois à ses distributeurs le
5 décembre 2013. Or le constructeur a rendu inexécutable ce dernier dès le 30 mars 2014 en raison de manquements imputables à la firme automobile liés notamment à la suppression des stocks et à l’arrêt de campagnes de marketing…

Comment décoder les arguments retenus par le tribunal de commerce de Paris ?

Ils recoupent ceux que j’ai mis en avant dans ma plaidoirie. Via sa décision, le tribunal a ainsi entériné le raisonnement suivant : bien qu’elle ait été regrettable
pour des distributeurs qui tiraient de manière significative leur rentabilité de cette représentation, la décision de General Motors de retirer la marque Chevrolet des marchés européens et d’y favoriser la présence d’Opel lui appartenait et n’était pas fautive en elle-même. En revanche, Chevrolet se devait de tout entreprendre pour que le préavis de résiliation soit effectif
et permette de garantir au réseau une rentabilité ainsi que des conditions d’activité équivalentes à celles qui étaient les siennes avant sa résiliation. Ce qui n’a pas été le cas et a placé le constructeur sur le terrain de la faute. Chevrolet
n’a pas pris en compte les conséquences de sa décision – notamment en matière d’investissements – sur l’activité des concessionnaires, alors que ces derniers n’avaient démérité ni en termes d’efforts, ni en termes de performances.
En effet, leurs résultats étaient en progression constante depuis six ans.

Quel est l’argument le plus fort du jugement du 23 mars ?

Celui du caractère inexécutable du contrat établi entre les distributeurs et le constructeur Chevrolet. Avec, à la clé, la reconnaissance d’un énorme manquement à la loyauté due au réseau Chevrolet en France.

Le CNPA et Chevrolet ont été renvoyés dos à dos en matière de demandes de dommages et intérêts. Pourquoi ?

Sur ce point précis, le jugement rendu n’est pas du tout cohérent. Il révèle assurément une volonté du tribunal de commerce de Paris de régler de façon définitive le litige en faisant en sorte que les distributeurs obtiennent
rapidement une indemnisation puisque chacune des parties a décidé d’en rester là… En renvoyant le CNPA et Chevrolet dos à dos, il a voulu éviter que ces
acteurs fassent appel de sa décision. Cela dit, le CNPA était effectivement légitime dans son action d’assignation. En notant la faute commise par Chevrolet, le tribunal reconnaît formellement le bien fondé comme la légitimité de cette démarche en faveur d’une défense des intérêts de la profession.

Les 12 distributeurs pilotant 17 concessions vont être indemnisés à hauteur de 7,850 millions d’euros. Comment jugent-ils cette indemnité et comment se répartit-elle ?

Cette indemnité n’est que l’addition des condamnations pronon­cées en faveur de chacun des plaignants, via les jugements qui leur sont propres. Une fois de plus, ce montant, calculé sur les bases de la marge VN des opérateurs, correspond à la volonté du tribunal de commerce de Paris de régler le contentieux considéré et de déboucher sur une indemnisation rapide des concessionnaires. Tout en cherchant à les mettre à l’abri d’un appel de Chevrolet France. Ce choix s’est traduit par un sacrifice au niveau du montant retenu. Cela dit, nous avons
obtenu une décision qui permet à son conseil de dire au constructeur, au vu du contenu du dossier, que les meubles­ ont été sauvés. Reste que la somme retenue ne représente que le tiers de celle qui était réclamée. Sur la base d’une équivalence de 21 mois de marge brute, elle représentait selon moi la réalité du préjudice subi par mes clients. Y compris celui qui découle de l’impos­si­bi­li­té d’avoir pu entretenir, sur la durée, des véhicules n’ayant pas été vendus par manque de disponibilité entre le 1er avril 2014 et le 31 décembre 2015. Sans parler des frais de restructuration et des investissements non amortis. Pour autant, les sommes retenues par le tribunal de commerce de Paris sont supérieures aux propositions transactionnelles initiales formulées par le constructeur. Le résultat de cette action en justi­ce est donc clairement positif.

Vos clients vont-ils faire appel ?

Ils ont bien intégré le contenu du jugement prononcé. Mais je vous réponds trois jours après que ce dernier a été rendu… Au demeurant, quatre ou cinq des
distributeurs que je défends pourraient considérer comme injuste l’indemnisation dont ils bénéficient, et ne pas s’en satisfaire… Nous verrons si Chevrolet est prêt à en discuter ou pas.

Quant à l’éventualité que Chevrolet fasse appel…

En ce qui me concerne, j’aurais conseillé à Chevrolet d’éviter cette procédure par tous moyens. Il suffit de regarder le préjudice qu’elle implique en termes d’image ! Qui plus est, si j’étais son conseil, je préconiserais à la marque de ne pas faire appel du jugement rendu, mais plutôt de trouver une solution amiable pour sortir de ce dossier de façon correcte. Par ailleurs, elle va devoir débourser des montants qui ne seront pas garantis par une caution bancaire. En outre, je suis convaincu que General Motors, qui a provisionné le coût global de cette
restructuration, a tout intérêt à purger cette provision au plus vite afin qu’elle ne soit pas réintégrée dans des comptes et ne redevienne imposable.

Quel est l’enseignement principal de cette confrontation ?

Il montre qu’un groupe automobile de taille mondiale, aussi puissant soit-il, ne peut abuser de ses pouvoirs économiques pour franchir certaines limites vis-à-vis de ses distributeurs. Ce qui vient d’arriver est rassurant. La condamnation de Chevrolet, sur la base d’une formulation violente, s’avère enfin la plus lourde ayant été retenue en France à l’encontre d’un constructeur.

Une satisfaction relative à votre propre démarche ?

La victoire m’apparaît d’autant plus belle que j’avais choisi, face au cabinet le plus réputé en droit des affaires et de la distribution automobile au niveau européen, une procédure d’urgen­ce. J’ai formulé mon assignation en octobre 2014, puis j’ai plaidé en janvier 2015 pour obtenir un jugement en première instance moins de six mois plus tard. Il convient de souligner qu’une procé­du­re normale dure en moyenne deux années. Le fait qu’elle m’interdisait de répondre à la partie adverse, j’ai été amené à bâtir une argumentation anticipant la réplique de la partie adverse.

Allez-vous engager d’autres actions ?

Trois autres dossiers de distributeurs Chevrolet, qui ne faisaient pas partie du groupe que je viens de défendre, vont effectivement passer devant le
tribunal de commerce de Paris. Il s’agit de l’assignation lancée pour le compte de la concession Paul Chedid Automobiles, qui avait ouvert un site à Paris à la
demande du constructeur trois ans seulement avant l’annonce de son retrait. Ce à quoi s’ajouteront deux actions engagées au nom de la concession de Rouen, détenue par Philippe Klein, mais aussi de celle de Brest, exploitée par M. Guillou, qui sont en liquidation judiciaire.

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