Marc Barennes, avocat associé du bureau Brandeis Paris.
© DR
Avocat associé du bureau Brandeis Paris, Marc Barennes pilote dans le cadre de l'affaire dite du « Dieselgate », une action collective contre plusieurs constructeurs automobiles. Comment cela fonctionne-t-il ? En quoi les flottes d'entreprise sont-elles concernées ? Explications.
L’Automobile & L’Entreprise : Vous menez, pour le compte de plusieurs entreprises, une action collective contre plusieurs constructeurs automobiles : de quoi s’agit-il ?
Marc Barennes : Pour comprendre l’action menée il faut remonter à quelques années en arrière. À la suite de l’affaire du « Cartel des camions » [des constructeurs européens s’étaient entendus de 1997 à 2011 sur les prix de vente des poids lourds, ndlr] sanctionnée par la Commission européenne en 2016 et 2017, les acheteurs trompés ont demandé à être indemnisés à hauteur de 10 % de la valeur des véhicules acquis ou loués. Depuis, des clients ont établi un parallèle avec l’affaire dite du « Dieselgate » et m’ont demandé de vérifier si une indemnisation était possible pour avoir utilisé des véhicules diesel en flottes alors que leurs émissions polluantes étaient non-conformes à la réglementation.
« L’affaire dite du "Dieselgate"est donc toujours en cours en France et, en vue d’obtenir réparation, les entreprises peuvent encore se constituer partie civile »
L’Automobile & L’Entreprise : Comment fonctionne cette procédure ?
Marc Barennes : L’action collective vise à regrouper un maximum de plaignants. Si les consommateurs sont représentés par les associations de consommateurs – parties civiles dans les procédures pénales en cours –, les entreprises font face à une triple problématique : ce sont des affaires complexes nécessitant des équipes d'experts, ces procédures sont coûteuses pour les entreprises si elles ne sont pas prises en charge par une société de financement de litiges [ici, la procédure est financée par un tiers – Bench Walk Advisors – qui se rémunère sur les indemnisations obtenues, ndlr] et, enfin, en se réunissant les entreprises peuvent éviter d’éventuelles mesures de rétorsion prises par leurs fournisseurs.
>> À LIRE AUSSI : Dieselgate : des flottes françaises lancent une action collective contre Volkswagen, Renault et Stellantis (ex-PSA)
L’Automobile & L’Entreprise : Le scandale du « Dieselgate » a éclaté en 2015 : pourquoi inclure si tardivement les flottes dans ce dossier ?
Marc Barennes : Au civil, compte tenu des règles en matière de prescription des faits, la procédure est désormais éteinte contre Volkswagen. Mais au pénal, dans le volet français du Dieselgate, une information judiciaire a été ouverte en 2017. Elle s’est traduite par des mises en examen pour délit de tromperie aggravée en 2021. L’affaire est donc toujours en cours en France et, en vue d’obtenir réparation, les entreprises peuvent encore se constituer partie civile pour avoir accès au dossier du juge pénal qui dispose de moyens importants (auditions, expertises, perquisitions, …) pour rechercher les éléments de preuve de l’existence, ou non, d’une infraction et, dans ce cadre, demander réparation. Donc les entreprises qui se constituent partie civile bénéficient des avancées de l’enquête.
>> À LIRE AUSSI : Dieselgate : la mise en examen de Volkswagen confirmée en France
Sont visés ici trois groupes automobiles : Volkswagen, Renault et PSA (Citroën, DS, Peugeot et Opel). Avec leurs marques, ils détenaient alors une part de marché prépondérante des ventes de véhicules diesel aux entreprises sur le marché national. On estime qu’entre 2009 et 2019, les flottes auraient été propriétaires, locataires ou utilisatrices d’environ 1,8 million de véhicules fabriqués par ces trois constructeurs automobiles.
« Dans les infractions économiques, il y a bien sûr la recherche d’une réparation, d’une indemnisation mais la dimension de santé publique et environnementale de l’affaire est également importante »
L’Automobile & L’Entreprise : Quel est le préjudice subi par les entreprises ?
Marc Barennes : Il y a ici un double préjudice pour les entreprises. Un préjudice financier bien sûr puisque des véhicules ont été achetés plus chers que ce qu’ils auraient dû l’être vu que le système de contrôle des émissions polluantes n’était pas aussi performant que ce qu’il aurait dû être, et qu’à la revente leur prix a été inférieur à ce à quoi les entreprises pouvaient s’attendre. Il existe aussi un préjudice moral car les acheteurs avaient fait le choix délibéré d’investir dans des véhicules diesel « propres » et que ça n’a pas été le cas : il y a donc une atteinte à l’image de la société, à sa réputation.
L’Automobile & L’Entreprise : Les flottes publiques (administrations, collectivités, …) peuvent-elles aussi se joindre à l’action que vous menez ?
Marc Barennes : Les entreprises privées ont été les premières à nous demander d’agir mais on constate ces dernières semaines un intérêt croissant des entités publiques : mairies, départements, EPIC, etc. Il n’y a aucune raison pour que ces structures publiques ne demandent pas également réparation.
« L’espoir d’un procès à l’horizon 2024/2025 au plus tard se maintient »
Dans les infractions économiques, il y a bien sûr la recherche d’une réparation, d’une indemnisation mais la dimension de santé publique et environnementale de l’affaire est également importante ; en agissant en indemnisation, les pouvoirs publics s’assurent que les infractions commises ne sont pas rentables pour leurs auteurs. Même si nous faisons des exceptions, nous avons toutefois fixé un plancher de 50 véhicules en flottes pour rejoindre l’action.
L’Automobile & L’Entreprise : Sous quel délai pensez-vous que la procédure aboutisse ?
Marc Barennes : L’espoir d’un procès à l’horizon 2024/2025 au plus tard se maintient. Après viendra le temps de la première décision de justice, puis des négociations et éventuellement de l’appel. Dans ce genre d’action, on est plus proche d’un délai de 4 à 5 ans pour la résolution de l’affaire. Mais le jeu en vaut la chandelle. En Allemagne, par exemple, les propriétaires de modèles Volkswagen ont obtenu de 1 300 à 6 200 euros d’indemnisation par véhicule. On peut donc viser une moyenne basse de 2 000 à 3 000 euros par véhicule Volkswagen impacté.