L’ouverture du passeport de prévention pour les travailleurs est prévue pour avril 2023.
Dans le but d’améliorer la sécurité au travail, y compris derrière un volant, les pouvoirs publics ont instauré un passeport de prévention destiné à recenser les formations des salariés. Son entrée en vigueur, différée à avril 2023, suscite des interrogations de la part des employeurs comme des formateurs.
En matière de sécurité au travail dans les entreprises et de formation professionnelle, les lignes n’ont pas fini de bouger comme en témoigne l’actuelle mise en œuvre du passeport de prévention. À l’origine de ce processus, une récente loi sur la santé et la sécurité au travail* dont l’ambition est de développer la prévention pour éviter des accidents et ainsi des coûts de réparation. Parmi les mesures avancées, doter chaque salarié d’un passeport de prévention. Une sorte de porte-documents virtuel et personnel destiné à accueillir tous les diplômes, certificats et autres attestations, obtenus après avoir suivi une formation liée à la sécurité ou à la santé au travail. Par exemple, une formation de sauveteur secouriste au travail (SST) ou un stage destiné à acquérir une conduite plus sûre. Actuellement, la description de ce dispositif tient en quelques lignes du code du travail (au nouvel article L4141-5), qui renvoie à un décret d’application. Censé être publié au plus tard le 22/10/2022, ce texte se faisait encore attendre mi-décembre. Au point que le gouvernement ait reporté l’application du passeport de prévention en avril 2023. Dans l’intervalle, les informations indispensables aux entreprises pour s’y préparer restent lacunaires.
Quelles formations seront éligibles ?
« Nous avons posé la question des formations éligibles à la Caisse des dépôts (NDLR, chargée de gérer le dispositif pour le compte de l’État) mais nous n’avons pas eu de retour », témoigne David Berche, chef de projet prévention sécurité au sein d’Aftral, un des organismes leaders de la formation dans le transport routier. Début novembre, le site d’information ouvert par le ministère du Travail a apporté quelques éclaircissements : à l’ouverture, le passeport comprendra les certifications concernant la prévention des risques au travail, « transmises par les certificateurs qui ont l’obligation depuis le 1er juillet 2021 de transmettre les certifications du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et du Répertoire spécifique (RS) pour la mise en application du passeport de compétences. » Autre catégorie éligible, « les formations associées à ces certifications qui sont référencées dans Mon compte formation. »
Autrement dit, le doute est levé en ce qui concerne les formations diplômantes mais toutes celles qui s’intéressent à la sécurité ne le sont pas. Bien souvent, les entreprises qui identifient un besoin de formation se tournent vers des organismes susceptibles de leur proposer des modules qui sont parfois élaborés sur-mesure. Chez Aftral, la démarcation est nette entre, d’un côté des formations obligatoires telles que le Caces (certificat à la conduite en sécurité), requis pour conduire un chariot élévateur, ou encore la FIMO (formation initiale minimum obligatoire) indispensable pour exercer le métier de conducteur routier, et, de l’autre, des modules non diplômants mais tout aussi utiles à la sécurité, consacrés aux gestes et postures ou encore à la gestion du stress des conducteurs.
Vers un repositionnement des offres
« Cela reste encore très évasif en termes d’application », confirme Fabien Rouillard, gérant et fondateur d’Acta prévention, qui forme des conducteurs en milieu professionnel à la sécurité mais aussi à l’écoconduite. Cette dernière, dont les entreprises sont friandes ces dernières années, sera-t-elle éligible ? « 90 % des règles d’écoconduite sont des règles de prévention à l’origine, donc identiques à celles des formations à la sécurité », souligne Fabien Rouillard, sans savoir si cette offre sera bel et bien accessible au passeport. En revanche, certaines actions de sensibilisation, telles que des journées collectives organisées autour de la sécurité, risquent d’en être écartées. « Elles ne donnent pas lieu à la délivrance d’une attestation pour les salariés », rappelle Fabien Rouillard.
Or les attestations de formation vont devenir un sésame juridique précieux pour les entreprises. Sur sa chaîne YouTube, l’avocate Laure Germain-Phion*** indique qu’un salarié victime d’un accident du travail pourrait faire valoir devant un juge que son passeport ne comporte aucune attestation se rapportant à la prévention du risque concerné. Ce qui devrait aider le salarié à faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Une épée de Damoclès susceptible de réorienter les priorités de formation des entreprises, dans les mois à venir, au profit de celles liées à la sécurité et donnant droit à des attestations. Histoire d’étoffer suffisamment le passeport de prévention de leurs salariés.
Trois accès, un seul propriétaire
Chaque salarié reste propriétaire de son passeport de formation qu’il pourra alimenter en puisant dans son compte individuel de formation (CPF). D’autres que lui peuvent l’alimenter également, comme l’employeur ou des organismes de formation. En revanche, l’entreprise n’a pas accès aux informations du passeport (à l’exception des formations qu’elle a elle-même financées). Par conséquent, il revient au salarié d’autoriser cette consultation. Qu’en sera-t-il en cas de conflit ou de climat social tendu ? Si le salarié refuse, le passeport de prévention risque de rater un de ses objectifs : éviter la redondance des formations dispensées d’un employeur à l’autre.